LA VIE DES CHIFFRES : LE 7

Deux têtes de chevaux : un noir et un blanc.

Lila entendait encore souvent résonner le timbre de voix de la grosse femme du guichet de la tour lorsqu’elle lui avait crié : « Les jeux sont faits ! Bonne chance la belle ! Tu vas vers ton destin… » Oui, aujourd’hui encore, après toutes ces années, cette voix était présente en elle, l’écho à ses oreilles lui rappelait souvent la route qu’elle avait parcourue : SON CHEMIN ! Mais ce jour-là, le 7 juillet 2007, quand Lila ressortit du sas et qu’elle entendit la femme lui crier : « Les jeux sont faits ! Bonne chance la belle ! Tu vas vers ton destin… » Elle avait frissonné de peur. C’était comme un glas, elle avait compris instinctivement que plus rien ne serait comme avant. Lila se souvient du moment où elle s’était approché de la vitre de la tour pour regarder la grosse sphère transparente qui brassait des chiffres…

Elle pénétra dans le hall et avança jusqu’à la sphère géante, mal à l’aise face à tous ses chiffres qui virevolaient violemment dans la boule. Quelque chose l’angoissait. Elle sursauta lorsque la femme au guichet lui cria : « Vous voulez tenter votre chance la belle ? » Lila hésita, elle recula sans répondre et regarda de nouveau la sphère. En s’approchant de la grosse femme qui ne l’avait pas quittée des yeux. Elle demanda :

– En quoi consiste ce jeu ?

– Ah ! C’est le JEU DE LA VIE. Allez-y, on vous attendait…

De plus en plus intriguée, Lila demanda encore :

– Que dois-je faire ?

– Quand vous le sentirez, arrêtez la sphère en appuyant sur ce bouton-là et tendez la main pour recevoir votre chiffre, et…

– Mon chiffre ?

Votre chiffre. Ensuite, sortez d’ici, faites votre vie.

– Et je dois payer ? Ca coûte combien ?

– Oui vous devez payer. Rien n’est gratuit dans cette vie : tout se paye. Vous payez pour savoir, vous payez pour être guidée, vous payez pour avancer sur votre chemin…

– Ok, coupa Lila qui commençait à en avoir assez de son baratin. Ok, combien ?

– 20 euros la belle ! C’est cher pour un jeu, mais pour une vie, c’est donné !

Lila paya et se planta au pied de la sphère, quelque chose en elle s’avait qu’elle devait tenter sa chance. Sans attendre, elle appuya sur le bouton-champignon et immobilisa la boule. Aussitôt les chiffres, un instant suspendus dans l’espace, tombèrent lourdement sur le plexiglass et Lila plaça sa main gauche sur la goulotte. Avec un léger cliqueti, le 7 lui tomba délicatement dans la paume et elle pensa que cette délicatesse était un heureux présage.

C’est en se dirigeant vers la sortie que la femme lui cria : « Les jeux sont faits ! Bonne chance la belle ! Tu vas vers ton destin… »

Une fois dehors, Lila ne remarqua pas immédiatement le changement dans la rue. C’est un peu après, lorsque son cœur eut cessé de battre si violemment dans sa poitrine qu’elle vit que le trottoir avait disparu pour laisser la place à de la terre battue, que les lampadaires étaient plus petits et bizarres, que l’air était différent. Tout à coup, elle entendit les sabots des chevaux qui tiraient la calèche ; l’un était blanc et l’autre noir. Le cocher en habit la regarda d’un œil soupçonneux avant de lui dire : « Votre mère est assise derrière dans la voiture, elle ne va pas apprécier votre robe ! »

Lila remarqua que les quelques femmes qui passaient dans la rue étaient en pantalons bouffants colorés, bariolés comme ceux d’Arlequin, alors qu’elle était en robe courte noire et baskets blanches. Lila s’approcha de la vitre de la calèche pour voir celle qu’on appelait « sa mère ». Elle découvrit une femme menue, brune, vêtue d’une combinaison rouge à gros pois verts qui arborait un sourire angélique. Lorsqu’elle vit Lila, la femme se pencha à la fenêtre et l’invita à monter près d’elle.

– Ah ! Lila, où étais-tu ma chérie ? Nous t’avons cherché partout depuis le repas, tu m’as fait peur tu sais.

– Excuse-moi maman bredouilla Lila à tout hasard, sans rien comprendre. Je me suis perdue.

– Oh, tu as encore mis cet horrible vêtement si triste ! Tu sais que je n’aime pas te voir triste. J’ai compris ce que tu m’as demandé l’autre jour, j’ai réfléchi et tu as raison. Je suis d’accord, j’accepte que tu fasses ce métier si c’est ce qui peut te rendre heureuse.

Lila prit peur, elle ne savait pas tu tout de quoi parlait cette femme. Dans quelle vie était-elle tombée ? Quel était ce métier qu’elle semblait avoir choisi ? Comment faire pour rattraper la situation ? La panique commençait à la gagner et elle pensa à sauter dans la rue, à s’enfuir pour retourner à la tour, mais elle n’eut pas besoin de poser les questions qui se bousculaient sur ses lèvres. La femme, sa mère, reprit d’un air satisfait.

– Es-tu contente ma chérie ? Tu vas pouvoir t’occuper des chevaux autant que tu le souhaites et vivre et dormir dans l’écurie même, si ça te chante. Je ne m’y opposerai plus, et ton père est d’accord aussi, je m’en suis chargé.

L’écurie ! Les chevaux ! Même si Lila ne savait pas du tout ce qui s’était passé jusque-là, il semblait que son rêve était en train de se réaliser… Depuis toujours elle avait voulu vivre parmi les chevaux, les soigner, les nourrir, les monter, les aider à mettre bas… Génial ! si c’était là le destin dont parlait la femme du guichet de la tour, et bien c’était un beau cadeau de la vie pour Lila !